De la BELLE EPOQUE à la PREMIERE GUERRE MONDIALE    de 1830 à 1914 

 Occupation Humaine du MASSIF de l’ESTEREL   (Chapitre TROIS)  mise a jour 15 05 2023


 LA BELLE EPOQUE : LES HIVERNANTS – LES TOURISTES

 

        Alors que l’ingénieur Auguste Muterse (1851-1892), pour développer l’exploitation des ressources forestières du Massif, fait construire 14 maisons forestières et plus de 300km de pistes et de sentiers, les voyages, les séjours s’intensifient avec l’évolution des moyens de communications, l’engouement des étrangers et plus tard la transformation des classes sociales en Europe.

 

         1860 Réunion de la Savoie et du Comté de Nice à la France. (Appellation officielle qui a remplacé très vite le terme péjoratif d’Annexion car c’est seulement en 1960 lors du bicentenaire que sera utilisé le mot Rattachement). La Nationale 7 franchit le Var pour Nice et jusqu’à la frontière avec la République d’Italie, en cours de création. Résultat et ironie de l’Histoire, mais logique administrative, la limite doit être déplacée pour pouvoir créer un département cohérent : Pour cela on détache du Var l’arrondissement de Grasse pour l’ajouter à l’ex Comté et en faire un ensemble : les Alpes Maritimes (d’Alpes Maritimae province de l’Empire romain). Le fleuve côtier ne coulera plus du tout dans le département qui lui doit son nom.

         En conséquence l’ex voie Aurelia, ex route Royale, ex route de l’Empire n°7 (1811) est améliorée, elle relie Lyon à Antibes par les Adrets de l’Estérel. Le nom local de route d’Italie sera référencé sous son nom définitif de : Route Nationale n°7 (1870).

         Alors que dès 1857 (création de la Ste PLM), une continuation du tracé de la voie ferrée fait l’objet d’expropriations, Napoléon III va exiger, dès le traité signé, un prolongement le plus rapide de la section de la voie ferrée Toulon- les Arcs (exploité dès 1862). La portion vers Cagnes sera achevée en 1863 par un parcours en bord de mer pour franchir l’Esterel certes avec des travaux conséquents, de ponts (Agay), de viaducs imposants (9 arches pour Anthéor et 6 pour la Rague), de tranchées et de tunnels (celui de Saourmas). L’intérêt et le choix d’un « contournement du massif » par un tracé qui suit « le littoral » plutôt que par « l’intérieur « (vers Grasse) est qu’il est sans dénivelées. Les voies sont doublées en 1881 jusqu’à Cannes car la facilité, la fréquence et le confort de ce nouveau moyen de déplacements va décupler l’arrivée et le séjour des voyageurs. Mais l’autre avantage c’est aussi la facilité et la rapidité des transports de produits de consommations vers les grandes villes (Lyon et Paris) : Cultures maraichères, fruits de saisons, agrumes, huiles d’Olives, mimosas, sucreries locales, poissons frais. Conséquence aussi, un des effets le plus spectaculaire sera le développement de la production horticole et de son corollaire les parfums (ligne Cannes Grasse ouverte en 11/1870). Seuls les produits « lourds » continuent à s’effectuer par la mer et le cabotage reste important.  Pour la liaison ferrée avec Nice, il faudra attendre qu’un pont métallique soit construit (et testé (09/1864) pour franchir un obstacle important : le fleuve côtier le Var.  Historiquement, Il fallait passer ce cours d’eau à gué jusqu’en 1845, date à laquelle sera édifié un pont en bois « Le pont des Français ».

             Extensions du réseau, construction d’une hôtellerie de luxe ne pouvait que décupler la venue des gens fortunés, de têtes couronnées. Le mode des nouveaux usages, des séjours, s’amplifie sur une Côte baptisée d’Azur (Titre du livre de Stephen Liégeard édité en 1887).

            Un remplacement heureux du French Riviera qui avait été donné en raison de l’engouement et de l’installation nombreuse d’Anglais. A Saint Raphaël, c’est après les villas (1885), c‘est pour eux que sont construits deux églises, cinq palaces, un casino et évidemment des tennis et un terrain de Golf (1895). Ce sera au Val Obscur (le Vallis Obscurcis) fait de forêts sombres qui devient le Val de cure, puis le Valescure, une déformation du nom comme d’autres au XIX° soit par les géographes mais aussi par les promoteurs (déjà !) car c’est naturellement bien plus vendeur…). 

             Comme à Boulouris, Agay, le Trayas qui sont désormais reliés facilement, les Anglais se retrouvent à Cannes, à la Napoule, Pour permettre l’accès de « leur » golf (St Andrews  1891/1892) ils obtiennent même « leur » gare PLM (en fonction 02/1893). C’est la Noblesse, le Gotha Français naturellement mais aussi des Allemands et de Russes qui s’installent, investissent en bord de mer où en créant des quartiers résidentiels à la place des forêts. C’est le début de la construction de grandes demeures d’exceptions qui se poursuivra durant la première moitié du 19éme siècle.

             Ces arrivées s’accompagnent par la venue de toute une élite avec des écrivains comme Victor Hugo, Théophile Gautier, Georges Sand, Alexandre Dumas et Frédéric Mistral. Au passage citons Jean Aicard (1848 -1921) avec son évocation du bandit des Maures et de l’Esterel dans son livre « Maurin des Maures » (1908). D’autres artistes comme le compositeur Charles Gounod où les peintres Louis Valtat, Eugène Fromentin, Carolus Durand, Jean Louis Hamon ……. Ce qui donnera bien des noms de rues à St Raphael. Un nom qui se retrouve aussi fréquemment c’est celui du Marechal Joseph Gallieni (1849-1916). Amoureux d’une Raphaëloise, il s’y marie en 1882. Le couple fait transformer en habitation convenable, les deux cabanes à sel de la Gabelle. Au retour de Madagascar (1899) de grands travaux modifient cet ensemble en prenant pour modèle,  la Résidence Générale de Tananarive. Pour les locaux, la métamorphose est telle que désormais on l’appelle le Château de Gallieni.

             Parmi les marcheurs qui viennent résider sur la commune de Saint Raphaël, deux personnalités Alphonse Karr (1808 -1890) et Guy de Maupassant (1850 -1893) Les deux écrivains partagent la même passion de longues promenades mais également se livrent à de fréquentes excursions en mer sur leurs yachts. A bord du Bel Ami, Guy de Maupassant se régale de parties de pêche à côté de l’Ile d’Or et pour la marche il privilégie le Val Infernet. Alphonse Karr préfère le sentier des douaniers et le soir au mouillage, sur son bateau, le Nautilus sa mère distrait ses hôtes en jouant de l’harmonium.

               D’autres hivernants se décident pour l’autre côté du Massif à Théoule ou Mandelieu la Napoule, Là aussi ce sont des noms qui restent dans les rues, les bâtiments : Les comtes de Villeneuve y avaient fait bâtir un château en 1387.  D’usage défensif, après bien des vicissitudes historiques, il sera réhabilité (1937) par Henry Clews et son épouse. 

             Une figure de la haute société cannoise dans les années 1860 a même laissé son titre nobiliaire à une Maison Forestière de l’Estérel : C’est en effet la Duchesse de Vallombrosa qui en posera la première pierre. Une réalisation qui avait été abandonnée mais dont elle saura en démontrer l’intérêt au supérieur hiérarchique de A. Muterse en charge de la mise valeur du Massif. (Voir article sur les Maisons Forestières)        

             Il y a un passionné qui va à la découverte de l’Esterel. Alors qu’il est mondialement connu pour être le père de la Spéléologie, (Du gouffre de Padirac à la Mammoth Cave aux Etats Unis en passant par les gorges du Verdon), on ignore bien souvent qu’Alfred Edouard Martel (1859-1938), entre deux explorations souterraines, est un fervent admirateur mais aussi défenseur - déjà- de l'Esterel.  Pour sa retraite, il fera construire sa villa sur la pointe Maubois (1893). Lors de ses nombreux séjours au Trayas, il arpente sommets et vallons, visite avec son kayak les grottes marines, noue des relations avec les écrivains et autres marcheurs. Dès 1877 il commence à effectuer des relevés topographiques. Précurseur, il est certainement un des premiers qui va faire la promotion de l’Esterel pour qu’il devienne un site d’excursions pédestres « dans le respect absolu de la nature ». Avec l’appui de l’ingénieur A. Muterse, la collaboration de P. Boissaye, il va en réaliser plusieurs cartes dont une carte au 1/100.000 /courbes à 25m (lors de 6 séjours de 3 mois sur place et 2 mois de bureau).  Parmi ses plus de 1000 publications, cette carte deviendra une référence, diffusée par la toute nouvelle association dont il est adhérent le Club Alpin Français (le CAF en 1874). Elle est reprise dans son livre (1899) qui est sans doute le premier (???) guide de randonnées : « Le Trayas (Var), l’Esterel, Agay, le Cap Roux, etc. guide du promeneur dans les massifs côtiers de l’Esterel, entre Cannes et Saint-Raphaël » Comme ses nombreuses photos reprises en cartes postales, en affiches, son ouvrage est aussi diffusé (1903) par le TCF (Touring Club de France) dont il est un des Administrateurs, un beau succès qui en justifiera des rééditions (1911).             

              Apanage de l’aristocratie, de la riche Haute Société une invention récente (1886/1889) va décupler les possibilités de voyages, de promenades. Nous sommes en plein essor de l’automobile et le tourisme de luxe s’accélère. Moteur de promotion, d’abord du cyclotourisme, le TCF fondé le 26/01/1890 se fait le promoteur de ce nouveau moyen de locomotion. Dans une de ses cartes publiées par cette association, A.E Martel indique « ... Qu’en 1898, en voiture ou à bicyclette ... » il est « ... Absolument aisé de se rendre d’Agay au Trayas ou à Cannes   par les cols de l’Evêque ou des Trois Termes, car « … le sentier côtier…est un mauvais chemin de chars ».  Le premier Président du TCF, Abel Bailliff (1845 -1934) va lancer en 1900 des démarches, des souscriptions pour obtenir le droit et permettre la construction d’une vraie route le long du bord de mer : Ce sera la Corniche d’Or commencée en 1901, elle sera inaugurée en 1903. Non seulement elle permet de bénéficier de panoramas uniques et exceptionnels, mais aussi elle désenclave toutes ces nouvelles stations, relie les deux départements et rapproche Cannes et Nice. Comme pour la promotion de la corniche, A E Martel va proposer au TCF d’utiliser les Maisons Forestières dans le réseau de postes de secours dont cette association fait la diffusion dans toute la France . De même il propose de faire placer une table d’orientation au sommet du Cap Roux. C’est chose faite avant la première guerre mondiale mais elle est incomplète car il y manque tout le Massif du Mercantour. Elle sera en conséquence remplacée avant la deuxième guerre mondiale avec l’ajout de la proposition du profil réalisé par E A Martel. Merci car nous pouvons toujours en profiter. 

              Pour se distraire, à pied, en voiture, en calèche ou à dos de mules on allait à la découverte des sites comme la grotte de Saint Honorat ou bien pour les vues, au Pic de l’Ours ou sur un des sommets du Mont Vinaigre sur lequel on vient de construire une tour, reliée par télégraphe, afin de détecter puis de signaler les incendies.

              Sur le chemin, il y a des jeunes filles en costume provençal qui offrent des brins de mimosas.

            Autre exemple de cette époque insouciante, en 1909, le Docteur Auguste Joseph Lutaud (1847-1925), achète et fait bâtir sur l’Ile qui s’appelle déjà d’Or, une tour sur le modèle sarrasin. Il y organise des fêtes très courues par la bonne société. Il s’en fait couronner Roi un jour de 1913 sous le titre d’Auguste 1er. Nouvelle cérémonie au soir durant laquelle il abdique et proclame la République de l’Ile d’Or. Grand voyageur, traducteur et écrivain, un peu oubliée, son activité de médecin-gynécologue, d’autant que c’est gratuitement qu’il soigne les carriers et les familles du Dramont.

             Également nettement plus oubliée, l’histoire d’un rocher plein de légendes dont la forme rappelle le sphinx des pyramides, le Lion de Mer. L’Administration des Domaines met en vente cette île (08/1866).  Veuve de l’acheteur donc son héritière, la Marquise de Rostaing (1848 -1932) en fera don à la ville de St Raphael (02/1918). Une grande Dame qui reçoit dans son château du Nëisson, poétes et grands de ce monde comme la Reine Victoria. Elle lance à Seillans la culture forale pour remplacer les vignes mortes du Phylloxera et crée son usine « la Parfumerie de Seillans ». En 1914, elle transformera son usine en Hôpital puis en maison de convalescence (1916). Infirmière Major, elle continuera ses aides à l’hôpital Militaire de Boulouris et différentes œuvres. Son mécénat la laissera quasi ruinée et elle devra vendre tous ses biens en viager.

              Une belle époque qui n’a pas connu que des fêtards mais aussi des gens extraordinaires.

              Ainsi une autre dame a laissé des traces de sa générosité. Lady Braybrooke, appartenant à une riche et vieille Baronnie d'Angleterre, séjourne tous les hivers à l'hôtel des Anglais. Si l'on connait la fontaine qu'elle a faite construire en 1904 au bord du marché République à Saint Raphael, rares ceux qui savent qu'elle aussi était amoureuse de l'Estérel …. et des animaux. Pour cela, la même année, elle fait installer une autre fontaine, au bord de la Nationale 7, après le col du Testanier . c'est désormais une halte bienvenue pour les attelages, après la longue montée depuis Fréjus. Celle-ci porte l’inscription :  "Soyez bons envers les animaux, n'oubliez pas qu'ils travaillent pour nous et souffrent comme nous".

 

Christian CHABERT

                                                                Croquis par E.A.MARTEL depuis le sommet du Cap Roux